Rapport de force informationnel dans le champ de l’expertise scientifique

Laboratoire, Science, Scientifique

Par Stéphane Ledoux,  Consultant chez AllEnvi Solutions

Contexte

En France, la politique de l’état en matière scientifique s’incarne dans les ONR (organismes nationaux de recherche). Chacun d’entre eux est construit autour d’un ou plusieurs objectifs de souveraineté et d’une activité de recherche soutenue. Ils permettent le développement de réseaux de compétences spécialisées sur la quasi-totalité des sujets ayant une base scientifique. La constitution des ONR autour de missions explicites produit des réseaux d’expertises accessibles et visibles. Les mérites scientifiques des ONR confèrent à ces institutions des légitimités fortes.

Cette double légitimité, politique et scientifique et leurs fortes visibilités place les ONR dans une position singulière dans le domaine informationnel. Dans un débat public, les participants tentent d’imposer leur récit aux autres, une des clefs pour parvenir à ce résultat est de construire une forme de légitimité. Dans les domaines scientifiques et techniques les ONR disposent d’un capital informationnel important, fondé sur leurs activités scientifiques et la confiance de l’état. Pour exister dans l’espace du débat, pour faire exister le débat, pour entretenir l’idée de l’existence d’un débat, les autres acteurs doivent occuper une partie de l’espace informationnel. Selon leur nature et leur stratégie, ils tenteront d’affaiblir ou de s’approprier tout ou partie de la légitimité des ONR, sur le champ politique ou scientifique.

Posture

Un débat est un conflit informationnel, dans ce type d’affrontement les parties prenantes cherchent à occuper le maximum d’espace. La posture habituelle des ONR et de leurs personnels dans le débat public est liée à leur culture d’établissement. Elle est fondée sur les références et des codes issus de la pratique scientifique, parmi lesquels nous devons retrouver : la primauté des faits sur les opinions, le respect des consensus scientifiques, l’acceptation de la complexité, la reconnaissance mutuelle des compétences. En l’absence de ces éléments, la posture des experts scientifiques et techniques devient rapidement défensive, attentiste et intenable.

Cette posture inadaptée est dû à une incompréhension du jeu de certains acteurs. Dans le système scientifique, l’objectif du débat est la construction d’un consensus. Ce processus n’est pas exempt de violences mais il nécessite le respect des codes issus de la méthode scientifique pour aboutir. Le vainqueur est celui qui formule le consensus et agrège autour de sa proposition le plus de ses pairs. Les limites de cette démarche apparaissent quand l’objet du débat n’est pas la recherche du consensus mais le besoin de controverse. Dans cette configuration, il est souvent plus simple d’attaquer la légitimité de son adversaire que ses arguments.

L’existence d’un acteur disposant d’une légitimité structurelle comme un ONR, est utile pour établir un consensus mais elle est perçue comme une menace pour ceux dont la dynamique, la présence dans le débat repose sur la controverse. S’ils reconnaissaient la légitimité d’un ONR, cela reviendrait à lui accorder de pouvoir d’arbitrage, de clore le débat qui les motivent, la dynamique qui les légitimes. Considérant qu’ils luttent autant pour exister que pour obtenir du pouvoir, reconnaitre la valeur des ONR affaiblirait leur position et remettrait en question leur place dans le débat. La position de neutralité que souhaitent occuper les ONR dans un débat dont l’objectif n’est pas le consensus scientifique est peut-être légitime mais elle est intenable.